MIGRATIONS, FRONTIERES ET VALEURS
Accueillir et accompagner des migrants en social et en santé
[Co-organisation ENTSS de Dakar, HELB de Bruxelles, Praxis Sociale de Mulhouse et IFRASS de Toulouse]
« Ceux qui devraient être au loin mais qui pourtant sont là rejoignent ceux qui se trouvaient si près mais qui n’étaient pas là... Quand surgissent les camps, c’est que des milliers de camps invisibles fermentaient déjà dans les placards de ces nations… » P. Chamoiseau[1]
Le séminaire international de Dakar est placé cette année sous le signe du triptyque : "Migrations, frontières et valeurs", des vocables d’une actualité qui ne cesse d’interpeler et de provoquer toute sorte de réactions et d’émois : du cynisme le plus froid au sentimentalisme inoffensif et inopérant, en passant par l’instrumentalisation politique, l’ambiguïté avérée des orientations publiques, le prosaïsme foisonnant des engagements humanitaires ou citoyens, etc. Pour autant les drames se poursuivent et se multiplient, à l’extérieur comme à l’intérieur des frontières transformées en nasses pour migrants à la merci des traitements les plus dégradants supposés les dissuader.
Les mouvements migratoires sont avant tout l’effet des tensions et situations internes dans les pays d’origine, mais aussi la conséquence de l’hypermobilité caractéristique des temps présents, à savoir la circulation massifiée et accélérée des informations, des savoirs, des biens, des personnes... accomplissant l'état d'un monde de plus en plus accessible voire attractif, tout au moins pour ceux dont les difficultés de vivre au quotidien les contraignent à l’exil. Pour ceux-là, les frontières se transforment en barrières physiques, policières et militaires, mais aussi institutionnelles et idéologiques avec l’émergence de ce que l’historien A. Mbémbé appelle les « politiques de l’inimitié »[2]. Otages des velléités nationalistes, celles-ci en viendraient même à faire fi de la dignité des personnes et de leurs droits humains, l'idéal moteur en travail social et de santé – au sens le plus englobant des activités organisées en vue du soin (des soins) et du développement de la personne.
Alors, quelle place ou marge reste-t-il à ce travail dans l’accueil et l’accompagnement des personnes en situation de migration ? Comment peut-il encore s'exercer voire se renouveler dans un cadre politique et institutionnel ne garantissant pas systématiquement les fondamentaux humains ? Mais nous voudrions bien continuer à croire à l’impératif et salutaire engagement des agents sanitaires et sociaux. Dans ce cas, quelles valeurs intangibles et partageables feraient socle dans leurs pratiques, nonobstant la diversité des approches, des formes et cadres d’action ?[3]
Enfin, quels axes générateurs guideraient nos réflexions et nos échanges au cours de nos rencontres, tout en construisant des réponses d’intérêt pratique et bien entendu pédagogique, fondamental de notre cœur de métier ?
Trois temps pourraient être retenus en juxtaposition au triptyque thématique choisi :
L’item des « migrations » s’impose en tremplin de notre questionnement. En effet, dans le réel ou dans l’imaginaire, c’est par la « mobilité » que se rencontrent ou se modèlent des « frontières » : fictives (oniriques) ou physiques (réelles), ouvertes ou fermées, existentielles ou institutionnelles... Tandis que les « valeurs », elles, servent de repère à l’acteur, individuel ou collectif, a priori ou a postériori, pour donner sens à son intervention. « Mobilités, frontières et valeurs » tiendraient ainsi du construit. Il va sans dire que le champ de pratiques et d’expérimentations dans l’accueil et l’accompagnement des migrants est ici visé, en amont comme en aval de nos élaborations en commun.
- La situation migratoire en questions : le phénomène et ses enjeux démographiques et politiques au niveau sociétal et global. Comprendre les « migrations » et en repérer les formes et questionnements majeures. En quoi nous interpellent-elles dans le champ du social et du soin ? (23 mars).
- Les « Frontières » en situation migratoire : obstacles et défis, contraintes et engagements. Que sont les « frontières » en situation de migration et à quoi servent-elles aujourd’hui ? Et comment les investir en travail social et de santé ? (24 mars).
- Praxéologie en travail social et de santé en situation migratoire : observation des pratiques et observance des valeurs. Pourquoi et comment accueillir, soigner et accompagner des migrants ? (25 mars).
En approche exploratoire de la thématique du séminaire de mars 2023 : « Villes, mobilités et travail social », des communications pourront porter sur la ville comme lieu d’émergence et de configuration des problématiques migratoires. Elles permettront ainsi de visibiliser les processus sociaux et politiques par lesquels ces dernières s’inscrivent dans le champ du travail social et de santé. Cette approche pourra être ciblée ou transversale par rapport aux axes susdits.
Autant de questions donc qui par le partage d’observations, d’expériences et d’analyses devraient nous permettre de nous enrichir les uns des autres et renforcer le réseau d’échanges (SID) que nous constituons depuis quelques années dans nos domaines d’exercice respectifs au service de l’Humain.
[1] Frères migrants, Ed. du Seuil, 2017, p. 114.
[2] Achille Mbembe, Politiques de l’inimitié, Editions La Découverte, Paris, 2018 (2016).
[3] Nathalie HEINICH, Des valeurs. Une approche sociologique, Ed. Gallimard, Paris, 2017. Rudolf REZSOHAZY, Sociologie des valeurs, Coll. Cursus, Ed. A. Colin, Paris, 2006.