Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

L'image du Cafre. De l'Afrique réunionnaise (en cours de réédition)
L'image du Cafre. De l'Afrique réunionnaise (en cours de réédition)

L'île de la Réunion se présente comme un vrai condensé de l'humanité prise dans sa diversité. Elle porte bien son nom : « une réunion d'ethnies » dont l'identité s'est progressivement constituée au gré de l’histoire - processus du reste toujours en cours.

[Extrait de "P. Mayoka, L'image du Cafre: de l'Afrique réunionnaise, Publ. Hibiscus, Saint-Denis, 1997] 

L'histoire commence avec l’arrivée d’hommes européens en compagnie de quelques malgaches dont deux femmes : les "mères primitives" en quelque sorte. Puis des vagues de migrants suivront, des aventuriers pour la plupart, et bientôt des trafiquants d’hommes.
Malgaches et Africains surtout, mais aussi quelques Indiens sont régulièrement introduits dans l’île comme esclaves. Le pays s’installe dans l’économie de la plantation qui fera sa richesse mais aussi sa souffrance.

« Cafre », terme pourtant d’usage courant à la Réunion, mais autour duquel subsistent bien des ambiguïtés. Comme me le confiait cet informateur Yab[1]: « dans ma famille, on baisse souvent la voix quand on doit dire que tel est cafre. »

Le mot vient de l’arabe kafir qui signifie « infidèle », « non converti à l’islam ». C’est ainsi que les voyageurs, précisément les marchands d’esclaves arabes, désignaient les autochtones des pays s’étendant du comptoir mozambicain à la région du Cap, en Afrique du Sud.

Plus tard, les Européens, au premier plan d'entre eux les Portugais, le reprirent pour devenir caffer en anglais, kafer en afrikaner, et cafre sous sa forme francisée qui allait donner kaf’ en créole réunionnais.

Cependant, dans le sud-ouest de l’océan Indien, la côte africaine comprise, la Réunion semble le seul pays où le terme soit d’un usage « autorisé »[2]. Si en Afrique australe, il est la pire injure que l’on puisse adresser à un Noir (africain)[3]ce qui y expliquerait sans doute son emploi limité, à la Réunion, le côté gentillet qu’on se presse souvent de faire connaître : mon Kaf’! mon ti’ Kaf’! est très loin d’en épuiser le sens en vérité. Dans la région du sud-est africain, que l’on baptisa un temps « la Cafrerie », il semble, si l’on se fie aux témoignages recueillis jusqu’à présent, que le terme n’y soit plus utilisé depuis très longtemps ; tandis qu’il l’est encore à la Réunion et y est même, fût-il de façon timide ou épisodique, en voie de valorisation. Mais, quelles images évoque-t-il de l’homme et de la femme ainsi désignés ?

Avant de répondre à cette question, voyons qui est cafre. Il est ressorti de nos entretiens que, dans son acception la plus large, le terme s’applique à tout individu d’origine africaine ou malgache, ou encore afro-malgache[4]: on dit Cafre pour un homme et Cafrine pour une femme. Néanmoins, étant donné qu’il n’est question dans cet exposé que de la Réunion dans ses rapports avec l’Afrique, j’opterai pour une définition plus restreinte, à savoir : « tout Réunionnais ayant des origines africaines, et qui en a plus ou moins conservé le phénotype »[5].

Un tel Réunionnais peut avoir des traits négroïdes caractéristiques : gro’ Kaf’; la peau très noire: Kaf’ blé (bleu), ou claire: Kaf’ métis (clèr) ou batar’ Kaf’, voire très claire: Kaf’ blan’; les cheveux crépus mais roux ou châtain brun: Kaf’ rouz (rose ou rouge).

On parle aussi de Kaf’ malbar, c’est-à-dire un métis afro-tamoul. On n’arrive pas toujours à le classer, et lui-même a aussi du mal à se situer ; il en est qui se disent cafres ou malbars au gré des circonstances ou positionnements personnels. Cette incertitude, passant parfois pour de l’opportunisme, carac­té­rise de nombreuses personnes qu’on dit cafres ou qui se désignent ainsi, dès lors que leur phénotype n’est pas tranché. Ce qui fait de l’identité cafre, tant qu’on en reste aux apparences, une réalité fluctuant souvent en fonction des individus et des situations auxquelles ceux-ci sont confrontés.

On n’est donc pas cafre de façon absolue, on l’est toujours par rapport à quelqu’un d’autre, qui soit l’est moins soit ne l’est pas du tout. C’est ainsi, il ne faut pas s’en étonner, le Réunionnais « gro’ kaf’ » a lui aussi son Cafre : le Comorien, le Malgache ou l’Africain vivant à la Réunion[6]. Mais, même lorsqu’il ne se prend plus pour un Cafre, il sait toujours l’être aux yeux des « autres » Réunionnais.

Il paraît donc que le Cafre est réellement le produit d’interactions entre les différentes composantes de la société réunionnaise, avec leur histoire et leur idéologie respectives. C’est pourquoi, en ce qui me concerne, il s’agit moins de circonscrire un type physique, aux contours du reste fuyants, que d’en appréhender le vécu et la représentation.

Tag(s) : #Anthropologie, #Psychologie, #Peuple du Maloya
Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :