Les « migrants » travaillent gratuitement depuis le 23 octobre… en France.
En effet, le 8 novembre marque symboliquement, en France, le moment à partir duquel les femmes « travaillent gratuitement » par rapport à leurs collègues masculins pour le reste de l'année. Ce calcul est basé sur l'écart de salaire moyen entre les hommes et les femmes, qui est actuellement d'environ 15 %. Cela signifie que, si on prend les revenus annuels des hommes comme base de comparaison, les femmes gagnent 15 % de moins pour un travail équivalent. En d'autres termes, si l'année avait 365 jours, les femmes seraient rémunérées comme les hommes pendant environ 85 % de l'année, et les 15 % restants, soit environ 54 jours, elles « travailleraient gratuitement ».
Mais qu’en est-il des « migrants » ? Avec toute la complexité voire l’ambiguïté que revêt ce terme de « migrants », concédons qu’il désigne pour le moins toute personne de nationalité étrangère qui s’installe en France temporairement ou définitivement… Il s’appliquerait à une diversité de parcours et de situations, allant du travailleur étranger en quête d’opportunités économiques au réfugié en quête de sécurité, en passant par l’étudiant ou le membre de famille en regroupement familial, etc.
La situation salariale des migrants en France
Leur situation salariale en France est marquée, comme pour les femmes par rapport aux hommes, par des inégalités significatives en regard des travailleurs natifs, liées à plusieurs facteurs sociaux, économiques et administratifs.
Voici, en recoupant les données, un aperçu des principales réalités et défis auxquels font face les travailleurs migrants en France.
Inégalités salariales et précarité de l'emploi
Les migrants gagnent en moyenne des salaires plus bas que les travailleurs natifs en France. D’après les données de l’INSEE, les travailleurs migrants perçoivent en moyenne des rémunérations inférieures de 13 à 25 % par rapport aux travailleurs français nés en France, en fonction des secteurs et niveaux de qualification. Ces différences salariales sont dues à plusieurs raisons :
- Surreprésentation dans les emplois précaires : Les migrants sont plus souvent employés dans des postes peu qualifiés, mal rémunérés et moins stables. Ils occupent fréquemment des emplois dans des secteurs comme le bâtiment, l'agriculture, le nettoyage, et la restauration, où les salaires sont bas et les conditions de travail difficiles.
- Temps partiel subi : Nombre de travailleurs migrants occupent des postes à temps partiel par contrainte, sans possibilité d’accéder à des emplois à plein temps mieux rémunérés.
Obstacles aux promotions et progression de carrière
Les migrants rencontrent davantage de difficultés à accéder aux promotions et aux postes à responsabilité :
- Reconnaissance des qualifications : De nombreux migrants arrivent avec des qualifications acquises dans leur pays d'origine, mais ces diplômes ou compétences ne sont pas toujours reconnus en France, les obligeant souvent à occuper des postes en dessous de leur niveau de compétence et de qualification.
- Biais et discrimination : Bien que le droit du travail en France interdise la discrimination, les migrants sont plus susceptibles de rencontrer des préjugés et discriminations sur leur origine, leur nom ou leur accent, qui peuvent freiner leurs possibilités d'avancement.
Les conditions administratives et la précarité du séjour
La situation administrative des migrants influence aussi fortement leur situation salariale :
- Accès au marché du travail : Les travailleurs sans-papiers, par exemple, n’ont souvent pas d’autre choix que d’accepter des emplois précaires et informels, ce qui les expose à l’exploitation et à des conditions de travail difficiles.
- Contrats précaires : Les visas de travail temporaires ou les permis de séjour limités obligent certains migrants à accepter des emplois peu qualifiés pour justifier leur présence sur le territoire, limitant leurs perspectives salariales et leur progression professionnelle.
Notre calcul de la date symbolique...
Alors, fort de cette brève photographie, calculons la date symbolique à partir de laquelle les migrants travaillent gratuitement dans l’année, en retenant l’écart salarial moyen avec les natifs, entre 13 et 25% selon nos sources (Etudes et rapports : INSSE, 2021 ; Observatoire des inégalités, 2022 ; Ministère du Travail, de l’Emploi et de l’Insertion, 2023…).
Nous parvenons ainsi à une estimation de 19% en écart salarial moyen entre les travailleurs natifs et les travailleurs migrants. Alors osons calculer, exactement comme on le fait pour les femmes (cf. plus haut) :
- Calcul de la proportion de l'année : Si l'écart est de 19 %, cela signifie que les migrants gagnent en moyenne 81 % du salaire des natifs pour un même type de travail. Autrement dit, ils sont payés 19 % de moins, ce qui représente environ 69 +1/3 jours par an (365 × 19 % ≈ 69,35 jours).
- Détermination de la date : En comptant 69,35 jours avant la fin de l’année (31 décembre), on obtiendrait une date symbolique aux alentours du 23 octobre.
Ainsi, d'après ce calcul, on pourrait donc dire qu'à partir du 23 octobre, les travailleurs migrants « travaillent gratuitement » en moyenne, par rapport aux travailleurs natifs, selon un écart salarial de 19 %.
Deux remarques pour terminer: les études en référence ici ne font mention que du travail déclaré, et les femmes migrantes - voire issues de l'immigration - seraient davantage sujettes aux inégalités salariales. Cette dernière question mériterait toutefois un focus propre.
Paul Mayoka, sociologue et anthropologue, directeur Iffac Social, Pdt de l'institut SocioAnthropoesis