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Récapitulatif de la conférence que j'ai donnée le 14 mai dernier : F. Fanon, penser l’humain dans un monde déshumanisé, pour l'Institut SocioAnthropoesis.

Alors que le monde vacille entre crises écologiques, tensions identitaires, dérives autoritaires ou néocoloniales, la pensée de Frantz Fanon résonne avec une puissance intacte. Plus qu’un théoricien de la colonisation, Fanon est un éclaireur des fractures contemporaines. Cinquante ans après sa mort, il continue de nous interpeller : sur ce que nous appelons l’humain, sur les violences systémiques, sur la trahison des élites et sur les impasses de l’universel occidental.

Un psychiatre face à l’ordre colonial. Né en Martinique, formé en France, Fanon choisit l’Algérie comme terre d’engagement. Psychiatre à l’hôpital de Blida, il y découvre l’ampleur des ravages psychiques causés par le colonialisme. Il comprend que la pathologie n’est pas d’abord dans les individus, mais dans le système qui les broie. Ce n’est pas seulement le colonisé qui est malade, mais la société coloniale toute entière.

Dans Peau noire, masques blancs, Fanon dissèque le poids de l’assignation raciale, la honte intériorisée, la quête impossible d’une reconnaissance dans un monde qui vous nie. Il dévoile la souffrance ontologique d’un homme qui n’a pas le droit d’être homme.

La violence comme réponse au néant. Dans Les Damnés de la terre, Fanon va plus loin : il théorise la violence comme mode d’accouchement de l’histoire, là où la parole est confisquée, où la négociation est un leurre. La colonisation est une structure qui nie l’humanité des peuples. Face à cette négation radicale, seule une rupture radicale peut rendre possible une renaissance. La violence chez Fanon n’est en réalité qu’une contre-violence !

Non, Fanon ne célèbre pas la violence, mais la regarde en face. Il ne l’érige pas en solution universelle, mais la décrit comme un passage obligé vers la dignité retrouvée. Fanon dérange, car il refuse la morale abstraite des dominants : il parle depuis les tranchées de l’oppression.

Contre les impostures postcoloniales. Ce que Fanon avait prévu avec une clarté glaçante s’est réalisé : une fois les indépendances acquises, une partie des élites africaines a reproduit les logiques coloniales, au service d’intérêts étrangers ou de leurs propres privilèges. Le peuple a été trahi. La révolution a été confisquée.

Aujourd’hui encore, les régimes autoritaires du Sud brandissent Fanon tout en piétinant son héritage. Or, Fanon n’aurait jamais pactisé avec les potentats locaux. Il appelait à un renversement total : économique, culturel, politique, existentiel. Une réinvention de la souveraineté par le bas, portée par les masses, et non par les palais.

Penser l’humain autrement. L’une des leçons les plus profondes de Fanon est celle-ci : l’humanité n’est pas donnée, elle est à construire. Le colonisé n’est pas un être diminué par nature, mais un homme à qui l’on a refusé le droit d’être sujet. Décoloniser, c’est permettre à chacun de reprendre possession de soi, de se définir, de parler en son nom. C’est aussi, pour le colonisateur, renoncer à sa position de surplomb et reconnaître en l’autre un égal.

Dans un monde traversé par des logiques néocoloniales, par des migrations contraintes, par la racialisation des rapports sociaux, Fanon nous invite à repolitiser la question humaine. À ne pas céder à la facilité des essentialismes, mais à bâtir un monde commun à partir de la douleur, du conflit et de la parole retrouvée.

Fanon, aujourd’hui : une urgence ! Lire Fanon, ce n’est pas se souvenir du passé. C’est comprendre le présent, et surtout préparer l’avenir. Là où l’humanisme dominant échoue à tenir ses promesses, Fanon ouvre la voie à un humanisme concret, âpre, lucide, radical.

Ses mots résonnent chez les jeunes des quartiers populaires, dans les mouvements antiracistes, dans les révoltes des peuples oubliés. Ils traversent les prisons, les hôpitaux, les exils et toutes ces lieux de relégation. Fanon est une voix qui refuse les silences imposés, une parole qui rend à chacun le droit de dire : je suis un homme.

Paul Mayoka, sociologue et anthropologue, Institut SocioAnthropoesis.

Tag(s) : #Accompagnement, #Anthropologie, #Psychologie, #Relation d'aide, #Travail Social, #sociologie, #Clinique
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